L’Autre qu’on adorait, Catherine Cusset

cusset-1« Phil Miller tapotait le micro, tout le monde s’est tu. Les discours ont commencé. Quand il a prononcé son nom, Nora s’est avancée, les pommettes roses sous les applaudissements. Elle a reçu son prix, accompagné d’un chèque de sept cents dollars qui seraient bien utiles si elles t’accompagnait en France cet été.

 » […] Depuis l’estrade, Nora a cherché ta silhouette dans le groupe compact des professeurs et des élèves. Tu n’étais pas là. Avec ton mètre quatre-vingt-dix, elle t’aurait repéré même au dernier rang. »

L’autre qu’on adorait, c’est Thomas Bullot, « tu », dont la narratrice amante puis amie, fait le portrait. Pourquoi « tu » ? Parce que «  »il » est trop distant » et parce que « je », seul Thomas le connaît. « Je », c’est son corps dans le cercueil, « tu », c’est Thomas vivant, bien vivant.

« Est-ce la force de ton désir qui te condamne à perdre ? »

Au début du roman, on apprend que Thomas s’est suicidé. De quoi peut souffrir Thomas entre ses amours, des relations sexuelles, sa passion pour l’art, le cinéma, la littérature et la musique, son intelligence, son ambition et son bagout ? C’est de ses vingt ans à ses trente-neuf ans que l’on revit son existence tumultueuse et ses rebondissements. Thomas est promis à un avenir brillant, comment comprendre alors ses nombreux échecs qui scandent le livre, qui lui donnent un rythme, comme les nombreuses références à ses musiques préférées, du classique, au rock, au blues, au jazz et à la chanson française (en témoigne le titre du livre qui n’est autre qu’un bout de la chanson « Avec le temps » de Léo Ferré).

La vie de Thomas est aussi rythmée par ses nombreux voyages au sein de la France et des Etats-Unis. Thomas ne ressemble en rien à celles de ses amis, il est l’ami différent, original, impatient et fragile qu’on adore.

Le livre commence et déjà on sait qu’on va le lire d’une traite. Alors que presque vingt ans d’un vie se déroulent sous nos yeux, l’on est happé par l’intensité de l’écriture, ce style charnel, sensuel, sombre et lumineux à la fois. Rien de larmoyant, que de la fougue. Je conseille vivement sa lecture.

Adèle Cuny

Encore un Dubois, et promis j’arrête !

« La nuit, ma femme me regarde dormir. Elle m’observe avec une telle insistance que cela finit par m’éveiller. Mais je ne bouge pas, j’ouvre seulement les yeux. »

bm_cvt_une-annee-sous-silence_2100Paul Miller vient de perdre sa femme qui s’est immolée dans leur maison avec leur chien. Paul assiste à la scène, sans pouvoir l’arrêter. C’est après ce drame que nous entrons dans la tête du narrateur.

On a comme l’impression que son cerveau a disjoncté depuis le suicide de sa femme. Paul n’hésite pas à torturer l’esprit de ceux qui l’entourent. Plus le récit avance, plus Paul devient misanthrope. Il se moque bien de Domingo Morez, son collègue de travail, il rit de son côté consciencieux, il se prend à le détester. Son voisin, un prêtre va aussi faire les frais du drôle d’esprit de Paul, ce dernier va faire exprès de confesser ses péchés : des problèmes sexuels. Paul n’hésite pas à pointer là où ça fait mal chez les autres. Et restent encore les deux fils de sa femme, dont il semble s’être complément détaché, alors qu’ils ont vécu plusieurs années ensemble. Pour eux, il a même de la haine.


« Je me trouve chez moi, enfermé à clé, rideaux tirés. Je suis essoufflé et mon cœur bat à toute force. Je n’arrive pas à reprendre mon calme, à me ressaisir. Quel toupet. Quelle audace. Ce cureton l’ignore peut-être, mais le jardin dans lequel il lance ses invitations est mon jardin. C’est mon jardin. »

Plus le temps passe et plus Paul se renferme sur lui-même, il perd même de son humour, jusqu’à ne plus parler, se taire définitivement, s’isoler. Même son psychiatre ne saura pas quoi en penser.

Encore un Dubois, où l’on retrouve la passion des tondeuses à gazon et des voitures. Un Dubois vif et piquant, qui se moque de notre quotidien, de nos propres angoisses ou nos certitudes. Un Dubois qui donne envie de se défaire de nos à priori, de nos fidélités, de nos petites habitudes.

La vie me fait peur, Jean-Paul Dubois

9782020281348« Bientôt, je m’endormirai avec mes chaussures aux pieds. En avion, je n’ose jamais les enlever. Pour l’instant, je regarde rapetisser le monde à travers le hublot. A cette distance, les contours brumeux de la ville prise dans le froid évoquent la forme fumante d’un gros animal couché sur la neige. On le dirait peint pour la chambre d’un malade. »

A l’occasion de la sortie de La Succession  de Jean-Paul Dubois, on a voulu se replonger dans ses anciens livres.

Paul Siegelman se dirige vers Miami.  L’occasion, pendant le voyage, de réfléchir à ces vingt dernières années. La mort de sa mère, son père, l’entreprise de tondeuses à gazon de son père, sa copine Vivien, ses manques, ses peurs. Paul n’a rien d’un entrepreneur comme son père ou Vivien, il n’a pas le sens des affaires, il laisse les choses aller sans intervenir.

« Je ne suis pas un entrepreneur, ni un bâtisseur. Je ne me sens pas investi d’un rôle. Je ne fais pas partie de la famille des acteurs. Je ne me sens à l’aise que dans la salle, assis parmi la foule des autres spectateurs. »

On retrouve encore le goût pour Jean-Paul Dubois pour les tondeuses à gazon et pour les voitures. 

On a toujours beaucoup de tendresse pour les personnages de Dubois qui nous ressemblent. Pour leur côté risible. Pour leurs manques, leurs peurs, ce qui les angoisse…

Adèle Cuny