Une mise en scène d’Adrienne Ollé avec Pierre-Edouard Bellanca, Laura Chétrit, Aurélien Gouas, Pierre Korshand, Léa Marie-Saint Germain.
Pour la troisième fois, après Premier et Horovitz (mis) en Pièces, la Compagnie des Aléas, fondée en 2008, revisite l’univers d’Israël Horovitz dans une mise en scène géniale de Phone Tag, une pièce radiophonique écrite dans les années 90 pour la BBC.
Phone Tag, c’est d’abord l’histoire de Donald et Christy, amoureux, qui décident chacun de leur côté de rendre visite à l’autre, Donald habitant à New York et Christy à Londres. Ils se laissent des messages vocaux pour se prévenir mais aucun d’eux n’a le temps de les écouter, les voilà déjà partis, se manquant de peu. Autour d’eux gravite un grand nombre de personnages, comme l’amie dépressive de Christy en couple avec le frère infidèle de cette dernière, la grand-mère rencontrée à la gare qui manque par deux fois de mourir, la mère de Christy, une sans-gêne un peu déjantée qui fait son yoga sur le toit de l’immeuble, l’ami rasta de Donald, et tant d’autres encore.
De la radio à la scène
Il y a cette question qui se pose tout au long de la pièce : comment mettre en scène une pièce radiophonique composée uniquement de messages vocaux ? Et la réponse est maligne. Les comédiens sont souvent interrompus par une voix off, qui pourrait être la voix de la pièce elle-même, provenant d’un répondeur imaginaire, qui les interpelle sur leur manière de jouer ou de représenter la pièce, qui les corrige et les tourne en ridicule. Cette astucieuse métathéâtralité provoque inévitablement le rire, instaure un rythme effréné et fait se surpasser les comédiens qui doivent sans cesse se renouveler. Ces ruptures intempestives mettent en haleine le spectateur qui se demande sans cesse comment les comédiens vont pouvoir le surprendre, et chaque fois, il est surpris et charmé par le talent de ces cinq comédiens qui jouent des comédiens qui jouent Phone Tag !
Adrienne Ollé réussit la prouesse de mettre en scène ce qui, à priori, n’est pas destiné à la scène. Elle nous démontre qu’avec presque rien, peu de matière, il est possible d’épater le spectateur, de le faire voyager de Londres à New-York et inversement, de le captiver avec les histoires rocambolesques de ces personnages attachants. On remarquera évidemment aussi le travail ingénieux du scénographe Emmanuel Mazé qui nous propose un décor en carton qui se désarticule habilement en fonction du lieu où se trouve celui qui laisse un message (appartement, hôtel, court de tennis, cabine téléphonique…) ; un décor comme un grand puzzle en 3D ou un jeu de casse-tête qui, pour le spectateur n’a rien d’un casse-tête mais permet aisément et simplement de s’y retrouver dans cette intrigue loufoque.
Une pièce chorale où le cinéma s’invite
Si la pièce repose principalement sur l’histoire de Donald et Christy, elle est en réalité parsemée par de nombreuses autres intrigues ; les comédiens interprètent alors plusieurs rôles en se travestissant à l’aide de simples accessoires (perruques, lunettes…) ou en modifiant leurs voix et leurs gestuelles. La multiplicité des personnages et l’atmosphère générale rappelle sans nul doute l’univers des séries et plus directement la fameuse série Friends, des années 90 ; on y retrouve l’énergie, le ridicule, la légèreté. Mais aussi, à cela, ajoutons un hommage évident au cinéma de Woody Allen, à son humour et son ironie, aux histoires tortueusement risibles de ses personnages dont les névroses sont mises en scènes par l’absurde. Le cinéma ou le petit écran ont donc aussi leur rôle dans cette pièce, et le décor joue avec cela à l’aide d’une caméra et d’un vidéoprojecteur. Parfois il y a des jeux d’ombre et de lumière saisissants comme dans la scène de l’amie de Christy affolée au volant de sa voiture, qui, avec seulement quelques bouts de carton et deux lampes frontales, nous rappelle les films en noir et blanc de la première moitié du XXe siècle, voire plus particulièrement les scènes de voitures chez Hitchcock comme celle de Janet Leigh dans Psychose ou d’Ingrid Bergman dans La Mort aux trousses. Enfin, il y a le rôle important de la musique, qui, comme une bande originale de film, parcourt la pièce et colore chaque lieu, personnage ou thème visité. Il s’agit de reprises de chansons anglaises ou américaines connues (les Beatles, par exemple), sur fond de guitare ou de mélodica, qui donnent un ton léger à la pièce et qui invitent parfois à des chorégraphies de la part des comédiens.
On espère les revoir bientôt au théâtre : je vous tiendrai au courant !
Adèle Cuny